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Le bonheur, à travers le regard d'un écrivain public


Depuis que j'exerce le métier d’écrivain public, j’ai pu rencontrer un grand nombre de personnes aux parcours de vie marqués par des épreuves d’une intensité bouleversante. Il est vrai que, lorsque j’ai commencé, je ne m’attendais pas à être constamment confronté à la souffrance des gens. Beaucoup de mes clients sont accablés par des difficultés financières, psychologiques ou encore affectives. Certains ont vécu des drames particuliers : maltraitance, violences conjugales, exclusion sociale, abus divers, tandis que d’autres, bien que n’ayant pas connu de tels drames, sont confrontés à des blessures invisibles : le manque d’amour ou de reconnaissance, la solitude, la trahison, voire l’esprit de vengeance.


Face à ces récits d'existences chaotiques, une constante m’a toujours frappé : derrière chaque détresse exprimée, chaque demande d’aide formulée, transparaît un désir profond de transformation, une aspiration à quelque chose de meilleur. Que ce soit dans la volonté de réparer des blessures passées, d'obtenir une reconnaissance ou simplement de trouver un peu de sérénité, toutes ces démarches semblent guidées par une même quête : celle du bonheur.


En tant que témoin privilégié des souffrances et des espoirs des autres, j’ai été amené à me questionner sur ma propre perception du bonheur. Comment se construit-il ? Dépend-il uniquement de facteurs extérieurs ou repose-t-il sur un travail intérieur ? Cette interrogation, qui m’habitait déjà lors de mes études en philosophie, a trouvé un nouvel écho dans ma pratique d'écrivain public. À travers cet article, je souhaite partager une réflexion sur ce que signifie réellement cette quête et sur la manière dont elle se manifeste dans les parcours de vie des personnes que j’accompagne.

 




Le bonheur, une quête individuelle dans un contexte social


Si chacun forge sa propre définition du bonheur, certains besoins semblent universels. En écoutant les récits de mes clients, j’ai remarqué des aspirations communes : le besoin de reconnaissance, la recherche de stabilité, le désir de se sentir utile ou aimé. Lorsqu’ils ne sont pas satisfaits, ces besoins fondamentaux engendrent des souffrances profondes, révélant ainsi leur rôle essentiel dans notre équilibre intérieur.


Bien souvent, nous associons le bonheur à des facteurs externes, tels que l’argent, la réussite professionnelle ou la reconnaissance sociale. Pourtant, à travers mes échanges avec des personnes en grande précarité, j’ai découvert une forme de résilience qui remet en question cette vision. Certains d’entre eux, malgré des conditions de vie difficiles, témoignent d’une sérénité et d’une joie de vivre inattendues. Cette observation rejoint la pensée d’Épicure, qui distinguait les plaisirs naturels et nécessaires (ceux qui garantissent notre bien-être) des désirs superflus qui, au contraire, peuvent nous éloigner du bonheur. Selon lui, la véritable satisfaction réside dans l’équilibre entre la satisfaction des besoins essentiels et la tranquillité de l’âme.


Dans un monde en perpétuelle mutation, marqué par l’incertitude géopolitique, les tensions économiques et l’essor fulgurant des nouvelles technologies, la question du bonheur prend une dimension particulière. Face aux craintes liées aux conflits internationaux, aux bouleversements climatiques ou encore à la révolution de l’intelligence artificielle, il est tentant de chercher dans le progrès matériel et la maîtrise technologique un rempart contre l’angoisse. Pourtant, ces avancées, bien qu’impressionnantes, ne garantissent ni la sérénité ni l’épanouissement personnel. À l’ère où l’exploration de l’univers repousse sans cesse les limites de notre compréhension du cosmos, l’homme reste toujours confronté aux mêmes interrogations fondamentales : qu’est-ce qui donne un sens à notre existence ? Comment atteindre un bonheur durable au milieu des incertitudes ? Plus que jamais, la sagesse d’Épicure nous rappelle que la paix intérieure ne se trouve pas dans l’accumulation, mais dans la capacité à distinguer l’essentiel du superflu.

 


L’épreuve comme révélateur de l’essence du bonheur


Au fil des années, j’ai pu constater que l’épreuve, aussi douloureuse soit-elle, joue parfois un rôle déterminant dans la construction du bonheur. L’un des aspects les plus marquants de mon travail est la manière dont certaines personnes parviennent à transcender leurs souffrances. Ainsi, il y a quelques années de cela, j’ai accompagné une femme dans l’écriture de son récit de vie, une histoire qui m’a profondément marqué. Originaire d'Afrique de l'Ouest, elle est née avec une particularité physique inhabituelle : une raie de cheveux blancs au centre de son crâne et une peau ridée dès la naissance. Dans son village, ces signes étaient perçus comme une malédiction, et ses parents, sous la pression de leur entourage, ont tenté de l’enterrer vivante à la naissance afin de conjurer le mal qu’elle représentait à leurs yeux. Sauvée de justesse par sa grand-mère, elle a grandi dans un climat de rejet et de violence. À l’adolescence, son père a tenté de l’immoler, une agression dont elle a survécu en gardant des séquelles physiques. Face à ces épreuves, elle a finalement dû fuir son foyer pour survivre.


Malgré ces traumatismes, après des années à se battre pour une existence sereine, elle a réussi à reconstruire sa vie, trouvant une force intérieure qui force l’admiration. Elle est maintenant mariée à un époux aimant, mère de trois enfants, et semble avoir enfin retrouvé une certaine confiance en la vie. Durant cet accompagnement, la capacité qu’avait cette femme à donner un sens à la souffrance m’a rappelé les enseignements de Friedrich Nietzsche, pour qui la douleur et l’adversité sont des éléments nécessaires à la croissance personnelle en affirmant dans Le Crépuscule des idoles que "ce qui ne me tue pas me rend plus fort".

 




Le regard introspectif : et moi, dans tout cela ?


Face à ces récits de vie bouleversants, il m’a semblé naturel de me questionner sur ma propre trajectoire. Depuis longtemps, je me suis interrogé sur le sens à donner à mon existence, une réflexion qui a pris une importance capitale après mon départ du séminaire. En quête d’une compréhension plus profonde du monde et de ma place en son sein, je me suis tourné vers l’étude de la philosophie, espérant y trouver des réponses aux interrogations qui me tourmentaient. Cette exploration intellectuelle n’avait rien d’abstrait : elle était le prolongement de ma recherche existentielle, une tentative d’éclairer les choix qui s’offraient à moi.


Dans cet esprit, j’ai embrassé l’enseignement pendant un court laps de temps, pensant pouvoir transmettre et partager ce goût pour la réflexion. Pourtant, cette voie ne répondait pas pleinement à mon besoin d’engagement personnel. Par ailleurs, au-delà des nécessités matérielles qui m’ont poussé à explorer d’autres horizons, je pressentais des difficultés que je n’étais pas certain d’avoir la force de surmonter. Les problèmes de comportement des élèves, souvent soutenus avec ferveur par leurs parents, me semblaient constituer un défi de taille. Les témoignages d’amis enseignants, décrivant leur isolement face à ces situations et le manque de soutien de leur académie, ont renforcé mes doutes quant à ma capacité à exercer ce métier sur le long terme. C’est ainsi que, cherchant toujours un sens à mon parcours, j’ai fait le choix d’intégrer le secteur privé, une étape qui, bien que formatrice, s’est révélée éloignée de mes aspirations profondes. C’est finalement en devenant écrivain public que j’ai trouvé un équilibre entre ma passion pour l’écriture, mon désir d’aider autrui et ma quête de sens.


Cette évolution progressive s’inscrit pleinement dans la pensée de Søren Kierkegaard, philosophe qui a profondément marqué ma manière d’envisager l’existence. Pour lui, l’individu doit s’engager pleinement dans ses choix, assumer l’angoisse inhérente à la liberté et construire sa propre vérité. Son œuvre m’a aidé à comprendre que le bonheur ne résidait pas dans une voie toute tracée, mais dans la capacité à faire des choix alignés avec son être profond. C’est en acceptant l’incertitude et en endossant pleinement mes décisions que j’ai pu donner un sens à mon parcours de vie.

 




Une réflexion ouverte sur le bonheur


Les témoignages que j’ai recueillis m’ont appris que le bonheur n’est jamais figé, qu’il se construit dans l’instant et qu’il repose sur notre capacité à accepter nos propres failles et celles des autres. Cette idée rejoint la sagesse stoïcienne de Marc Aurèle, qui préconisait d’accepter ce que nous ne pouvons pas changer et de nous concentrer sur ce qui dépend de nous.


Mais accepter ne signifie pas se résigner. À travers les récits de vie que j’ai accompagnés et mon propre parcours, j’ai constaté que le bonheur ne naît pas uniquement d’une accumulation de réussites ou de plaisirs immédiats. Il prend forme dans la capacité à donner du sens à son existence, à faire des choix courageux, et parfois, à transcender la douleur. La souffrance, aussi dure soit-elle, semble souvent être une étape initiatique menant vers une compréhension plus profonde de soi et du monde.


Cette quête du bonheur, que chacun mène à sa manière, oscille ainsi entre l’acceptation et la transformation, entre le lâcher-prise et l’engagement. Comme le soulignait Kierkegaard, l’existence authentique repose sur la prise de décision et l’affrontement de nos angoisses existentielles. Peut-être que le bonheur véritable ne se trouve pas dans l’absence de difficultés, mais dans la manière dont nous les appréhendons et les intégrons à notre histoire.


Dans un monde où l’on valorise tant la performance et la réussite, peut-être devrions-nous accorder plus d’importance à ces petits moments de grâce, ces instants où l’on se sent aligné avec soi-même, indépendamment des circonstances extérieures. Comme le suggérait Albert Camus dans Le Mythe de Sisyphe, peut-être faut-il imaginer Sisyphe heureux, trouvant du sens dans l’effort lui-même plutôt que dans un but ultime inatteignable.

Finalement, le bonheur n’est-il pas avant tout un chemin, plutôt qu’une destination ? Une construction perpétuelle, nourrie par nos choix, nos épreuves et notre capacité à embrasser la vie dans toute sa complexité ?

 

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